Mur des fusillés, dépôt SNCF de Portes-lès-Valence
Connaissez-vous Portes-lès-Valence ? Non ? Mais vous connaissez peut-être l’aire de repos de Portes-lès-Valence, sur l’autoroute du soleil…
On s’y arrête pour faire le plein, boire une orangeade en contemplant les gadgets de la boutique Shell, admirer le bronzage des aoûtiens qui remontent…
Savez-vous que là, juste derrière, un peu en retrait de la Nationale, il y a une stèle. Douze noms y sont gravés. Douze hommes sont tombés là, main dans la main, face à un peloton nazi.
De l’autre côté de la Nationale, il y a le cimetière de Portes-lès-Valence où repose Nogier (4).
Les meubles du petit pavillon étaient tous branlants. J’ai demandé à la menuiserie d’envoyer quelqu’un. Ce fut Nogier. Je l’aidais à maintenir les planches pendant qu’il rabotait, et on s’est mis à causer.
C’est comme çà que je l’ai connu.
Il m’a tout de suite procuré une attestation d’emploi signée de son patron (sans justification d’emploi, les jeunes se faisaient envoyer au S.T.O.).
Toute la famille s’est installée dans la maisonnette. Nous n’étions d’ailleurs plus une famille, mais des amis. Nos fausses cartes portaient des noms différents.
Nogier m’a fait embaucher à l’usiner Barnier, à Valence.
Pour y aller en vélo, j’empruntais le chemin vicinal, parallèle à la Nationale 7, entre le Rhône et la voie ferrée, qui rejoignait la RN7 au Pont des Anglais, à l’entrée de Valence.
Un jour, j’étais de matin (on commençait, je crois, entre 5 et 6 heures du matin pour finir en début d’après-midi), je pédalais seul dans la nuit silencieuse quand, soudain, une voix tout près de moi cria :
- arrête petit !
Je mis un pied à terre, mais je ne distinguai personne à l’entour. L’homme était sans doute allongé dans le champ de colza car, dans ce champ, la voix repris :
- fais demi-tour, les boches sont au Pont des Anglais !
Je n’ai même pas dû dire merci… j’ai filé à la maison.
Chaque fois que la voie de chemin de fer était plastiquée, les nazis ramassaient quelques personnes, comme çà, par surprise, et on ne les revoyait jamais plus… portées disparues…
Français de Drôme, tu m’as sauvé la vie ! J’espère que toi aussi tu t’en es tiré !
Mes papiers étaient « bons ». Mon cousin Emile s’était procuré un authentique extrait de naissance, celui d’un jeune parisien. A l’aide cet extrait, il avait obtenu, à Toulouse, carte d’identité, carte d’alimentation et tout !...
Avec le même extrait de naissance, la Police d’Etat me délivra le même jeu de papiers, de vrais papiers !...
On était trois à avoir exactement les mêmes papiers, le véritable André B., mon cousin et moi-même. Bien en règle !
C’était trop beau ! Voilà qu’Emile me fait prévenir à Portes-lès-valence que je devais décamper au plus vite, en changeant d’identité.
A Toulouse, il s’était fait aborder dans la rue par trois inspecteurs de Vichy.
Contrôle d’identité :
- Papiers !
Il montre sa carte, bien en règle.
- Fouillez-le !, dit le chef
En deux secondes, Emile s’est fouillé lui-même. Il a sorti son 7.65 et il a tiré en l’air.
Pendant que les autres s’aplatissaient au sol, il a pris le large…
Mais les papiers au nom d’André B. étaient restés aux mains des flics et, bien entendu, ordre fut donné à toutes les polices de retrouver André B. !
J’étais aussi un André B. ! Je courus chez Nogier.
- Apportes-moi une photo d’identité et prépare tes affaires. Demain, on monte dans le Bedaud (l’Ardèche).
(4) Gaston Nogier - 27 juin 1902 Le Charnier St-Mélany, 26 novembre 1944 Portes-lès-Valence