Je m‘appelais maintenant Delmas André, né à Maubeuge.
On savait que les archives de l’état civil de Maubeuge avaient été détruites lors d’un bombardement, en 40. Pas de vérification possible !
Pas de carte d’alimentation non plus…
- T’n’en auras pas besoin, là-haut !
Il me présenta au patron d’une scierie :
- tu ne pourrais pas mettre ce jeune dans tes coupes ?
Le gars se passa la main sous la casquette, se gratta la tête, embarrassé :
- c’est que j’ai déjà des républicains espagnols dans les coupes !
- çà ne fait rien, on va monter au village !
Il m’emmena chez Marcel (5).
- un jeune réfugié du Nord, tu ne pourrais pas l’employer ?
- vous allez bien boire un canon ?...
On trinque
- Alors ? demanda Nogier.
- Alors quoi ?, demanda à son tour Marcel, interrogeant Nogier de son regard bleu, en souriant.
- …
- Ah oui ! Mais bien entendu, il reste, cette question !
Je n’ai pas été ouvrier chez Marcel. J’ai travaillé, mais j’étais comme un jeune frère pour lui, comme un autre fils pour sa mère.
Je tombai malade. Pour voir le docteur, c’était facile. La nuit tombée, lorsqu’on apercevait deux phares serpenter sur la route, dans la montagne, çà ne pouvait être que le docteur qui montait dans un hameau.
J’ai arrêté sa voiture :
- Docteur, je ne tiens pas à aller vous voir à la ville…
Il m’a ausculté dans sa voiture, m’a établi une ordonnance et m’a tapé sur l’épaule avant de redémarrer.
- Allez, encore un peu de patience, ce sera bientôt fini pour toi !...
Ardéchois…
De Portes-lès-Valence, les nouvelles étaient bonnes. Çà sautait presque toutes les nuits sur la voie, entre Avignon et Valence : les trains de l’Afrikakorps, ou de l’Armée d’Italie qui remontaient.
La maison de mes parents était située à environ 300 mètres de la voie.
Toutes les nuits, des patrouilles avec des chiens tournaient autour de la maison…
De plus, mon père avait été requis comme garde-voie.
Marcel Roux et Charles Drajer
Dans la cour de l'école libre
Je tremblais pour eux, pour lui surtout !...
J’en ai parlé à Marcel… Oh ! Pas trois phrases :
- j’ai mon oncle, ma tante et deux cousines, à Portes. Il faudrait qu’ils puissent monter ici…
Il a hoché la tête et en a parlé au Maire (6).
- çà va ! L’école des Sœurs est désaffectée. Il y a un fourneau. Ils y seront bien…
Il fallait aller les chercher.
Le jour venu, il a soigneusement préparé son camion à gazogène. Il a mis du charbon et du bois de réserve, s’est préparé un casse-croûte, puis il s’est habillé : une chemise à carreaux neuve, un bleu propre. Il s’est mis au volant, aussi calmement, aussi souriant que lorsqu’il allait chercher un chargement de châtaignes au village voisin.
Je l’ai regardé partir. Et si je ne le revoyais plus ?
Il m’a simplement dit que pour le retour, il passerait par Vallon-Pont-d’Arc et Ruoms, pour éviter Aubenas.
Alors, ils vont passer le Rhône, à Pont-Saint-Esprit…
Je savais que le pont était gardé aux deux bouts par les allemands. Ils contrôlaient d’ailleurs tous les ponts…
Que ce jour-là m’a paru long !...
De là haut, je scrutais la route. Le soir tombait… enfin ! Les deux phares du gazogène !...
Dans la cabine, à côté de Marcel, ma mère. Sur le plateau du camion, la machine à coudre, deux matelas, deux malles, mon père et mes deux sœurs blottis sous des couvertures… quel tableau !
Dieu merci, les feldgendarmes étaient fatigués, ou distraits, ce jour-là !
Pendant que mes parents se restauraient chez Marcel, les gens du pays examinaient le camion.
En quelques heures, il y avait à la maison tout ce qui manquait…
Ils apportèrent qui une chaise, qui une poêle, qui des lampes à carbure…
Quand ils eurent fini leur repas, tout était déjà installé à l’école libre qui leur servait d’asile.
Le village a veillé sur eux jusqu’à la Libération.
Quand quelqu’un cuisait du pain, il y en avait toujours un pour eux. Quand on tuait un tchabri (7), ils avaient leur part.
Certains faisaient parfois de longs trajets, à travers faysses (8) et châtaigniers, pour leur apporter quelque chose.
Ardéchois, ils faisaient çà naturellement. Comme Marcel quand il sulfatait sa vigne.
Ils n’étaient pas dans les unités combattantes.
Ils étaient des Français d’Ardèche…
Je les aime pour ce qu’ils sont, à tout jamais.
Entouré par les villageois